Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme N. Vallaud-Belkacem

Madame la Ministre,

Vous avez entrepris une réforme du collège ambitieuse. On ne peut que souscrire à la nécessité de réduire l’échec en collège et à l’objectif « de mieux apprendre pour mieux réussir ». Mais, à nous qui sommes responsables d’associations et de revues savantes en langues anciennes et en sciences de l’Antiquité, il apparaît malheureusement que ce projet se bâ !@#$%^&* au détriment de leur enseignement disciplinaire. Il ne pourra plus, en effet, apparaître qu’indirectement au sein des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), en eux-mêmes porteurs de possibilités pédagogiques innovantes et prometteuses, mais qui ne peuvent se substituer totalement à un enseignement disciplinaire spécifique. Si une discipline ne peut plus être rencontrée que dans le cadre des EPI, liés à des projets discontinus au cours de la scolarité du collégien, variables d’un collège à l’autre en fonction de la politique et des moyens de l’établissement, cette discipline est fortement mise à mal et se trouve en passe de disparaître, puisque la continuité d’un enseignement sur un cycle complet comme entre deux cycles est brisée, de même que l’égalité territoriale dans l’enseignement, à laquelle ont droit tous les élèves quel que soit leur lieu de résidence. Cela reste malheureusement vrai même après les assouplissements promis, selon lesquels, si et seulement si un élève a participé à un EPI en langues anciennes, il pourrait bénéficier, si et seulement si son collège décide d’utiliser une partie de sa dotation pour cela, d’un enseignement disciplinaire (fortement réduit par rapport à la situation actuelle) : ces assouplissements, on le voit bien, sont à la fois trompeurs et factices.
Les langues anciennes, dont les méthodes d’enseignement ont considérablement évolué en s’appuyant notamment sur les apports du travail en équipe et des TICE (où elles jouent un rôle pionnier), contribuent fortement à la maîtrise du français et structurent la conscience d’une culture européenne et méditerranéenne commune. Contrairement à ce qui est parfois allégué, ces enseignements en collège restent attractifs en raison du profond renouvellement des méthodes d’enseignement des professeurs, et ils constituent dans des collèges a priori peu favorisés un moyen culturellement fort de promouvoir l’égalité des chances entre élèves, puisqu’ils favorisent une connaissance rigoureuse et approfondie de notre langue et qu’ils sont l’un des moyens d’accès privilégiés à une culture partagée.
L’apprentissage du latin ou du grec s’est profondément renouvelé, non seulement pour mieux faire découvrir des aspects culturels essentiels, mais pour rendre accessible la lecture de textes fondateurs en rendant sensible à leur moyens propres d’expression et à la singularité de leur pensée. L’interdisciplinarité, hautement souhaitable parce qu'elle permet des mises en relation fructueuses entre diverses disciplines, et d'ailleurs souvent largement pratiquée par les professeurs de langues anciennes, ne peut se construire dans l’ignorance totale de la langue, et il est à craindre que seuls quelques établissement publics ou privés privilégiés en fassent désormais la promotion.
Les signataires de cette lettre, qui représentent la plupart des chercheurs et enseignants chercheurs dont les travaux en sciences de l’Antiquité sont connus au plan national et international, s’inquiètent plus spécifiquement de voir le vivier de jeunes élèves éventuellement intéressés par ces disciplines se réduire ainsi dangereusement. À terme, le renouvellement de chercheurs et d’enseignants-chercheurs français s'en trouvera rapidement compromis, et cela au moment même où la politique scientifique du CNRS se donne l’objectif de promouvoir les recherches dans les disciplines rares, où l’ANR soutient des projets de pointe dans le domaine des sciences de l’Antiquité, notamment à travers certains LabEx, et où, dans un contexte international fortement concurrentiel, la science française, dont la qualité est reconnue, doit conserver son rang – et, pour cela, veiller à la formation des générations montantes qui continueront de la faire rayonner.
Qu’il s’agisse de recherches approfondies en archéologie, en histoire, en paléographie, en épigraphie, en philosophie, en littérature — de la littérature médiévale à la littérature contemporaine, française et européenne —, la connaissance des langues latine et grecque est indispensable : son ignorance contribuera au déclin de la place de la France dans le monde.
Pour toutes ces raisons, nous demandons solennellement qu’au-delà de leur présence féconde dans les EPI, l’apprentissage des langues latine et grecque au collège soit préservé par des horaires réguliers et des programmes progressifs au cours d’un même cycle comme d’un cycle à l’autre, et contribue ainsi pleinement à une meilleure réussite des élèves sans distinction d’établissements et de territoires, comme à leur égal accès à une culture commune, afin de créer les conditions indispensables au maintien et au développement de la recherche intellectuelle de haut niveau dans les disciplines littéraires.

Association pour l’Encouragement des Études grecques.
Association Guillaume Budé.
Association des Professeurs de Langues Anciennes de l'Enseignement Supérieur (APLAES).
Sauvegarde des Enseignements Littéraires (SEL).
Société des Études latines.
Société des Professeurs d’Histoire Ancienne de l’Université (SoPHAU).

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