Le colloque est organisé par Lorenzo Boragno et Antonio Romano (tous deux membres de l’UMR 6566 - Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire).

Dans l’anonyme Differentiae verborum, attribuée à Marcus Cornelius Fronto, une réflexion subtile sur la distance sémantique entre anticum et vetus éclaire la nature du rapport que les Romains entretenaient avec leur passé : Anticum et vetus. Anticum est quod excessit patrum memoriam, vetus annorum multorum sentit utilitatem (Gramm. Lat. VII, 520 Keil : « Anticum désigne ce qui échappe à la mémoire des pères, tandis que vetus renvoie à ce qui conserve l’utilité des années passées »). Aucune traduction française ne saurait pleinement restituer cette distinction : anticum est ce qui, en étant ante (« devant ») d’un point de vue spatial et temporel, appartient exclusivement au passé, alors que vetus puise dans l’expérience passée, mais trouve également sa place dans le présent.

Pour valoriser cette distinction, les chercheurs de l’Antiquité romaine ont progressivement intégré des catégories et des cadres conceptuels empruntés aux travaux des sociologues et des historiens de la contemporanéité.

Cependant, les dynamiques spécifiques de la construction de ce passé exemplaire restent encore à préciser.

Après avoir examiné la manière dont la mémoire du passé se simplifie au fil du temps, il convient d’en considérer l’une des conséquences : le phénomène de la centonisation. Dans cette mémoire abrégée, les frontières s’estompent, permettant une reconstruction du passé où divers éléments, images et tropes se mêlent au sein d’un même texte. Ce processus repose sur un mélange d’images et de valeurs simplifiées, où des périodes et figures historiques éloignées dans le temps se trouvent rapprochées pour servir une interprétation donnée. Ce phénomène mérite d’être étudié tant dans une perspective littéraire – par exemple, en s’appuyant sur la notion de bibliothèque collective ou imaginée de Pierre Bayard, selon laquelle le rapport à la littérature dépasse les expériences individuelles pour englober celles d’une communauté, révélant ainsi les mécanismes de récupération et de combinaison des figures et images passées – que dans une perspective plus strictement historique. Ces deux approches, rhétorique et historique, pourraient conjointement éclairer cet aspect singulier de la reconstruction mémorielle.

Par ailleurs, ce colloque entend promouvoir une analyse approfondie des mécanismes de la mémoire en mettant en lumière les spécificités de la réutilisation du passé dans le monde romain. L’histoire de l’appropriation du passé par les détenteurs du pouvoir à Rome a déjà fait l’objet de travaux substantiels. Selon l’interprétation de Moses I. Finley dans The Use and Abuse of History (1971), la mémoire collective ne serait rien d’autre que la transmission, à une communauté, de la mémoire d’un individu unique : celui qui détient le pouvoir. Cette mémoire, explicitement politique, s’appuie sur une diversité de supports – fêtes, monuments, monnaies –, comme en témoigne l’histoire de l’Empire romain.

Néanmoins, une approche plus nuancée semble possible : chaque groupe, qu’il soit défini par des critères géographiques ou sociaux, cultivait et promouvait une vision propre du passé, souvent très spécifique. Comment ces groupes sociaux façonnaient-ils leur mémoire ? Comment dialoguaient-ils, voire s’opposaient-ils, à l’interprétation du passé proposée par les élites au pouvoir ? Une mémoire d’opposition était-elle concevable, et si oui, comment s’articulait-elle ? Parmi ces cas, ce colloque vise à examiner notamment les modalités d’appropriation des exempla romains par les chrétiens dans l’Antiquité tardive.

Ainsi, le colloque vise à explorer la possibilité de la centonisation historiographique, et à proposer une première définition de la valeur mémorielle et épistémologique du phénomène. Comme dans la centonisation littéraire, l'élément centonné doit être interprété à la fois dans son contexte d’origine et dans le nouveau contexte où il se trouve : c’est dans cette simultanéité qu’il assume un troisième et nouveau sens.

Il en va de même pour la centonisation historiographique : lorsque deux personnages ou deux événements sont mis en relation, chacun conserve son sens dans le contexte historique et chronologique originel, tout en assumant un troisième et nouveau sens dans le cadre même de la comparaison.

Pour explorer cette possibilité, le colloque propose cinq axes de recherche, non exclusifs, énumérés ci-dessous :

- La centonisation du passé et sa valeur épistémologique : mélanger, reconstruire et réinterpréter le passé, d’un point de vue historique et littéraire

- La mort des exemples : réflexions sur le déclin de la puissance allusive d’un exemple et de sa compréhension

- Mémoire et identité : stratégies mémorielles et références au passé comme instruments de construction identitaire

- Les chrétiens et le passé romain : exemples d’appropriation culturelle

- Les exemples romains dans le monde post-classique : survivance dans la littérature et la politique après la chute de l’Empire (Ve-IXe siècle)

Date limite de soumission : 31 mars 2025

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