Alors que le MESRI est sur le point de publier une série de décrets réformant les modes de recrutement à l’université, notamment par la dérégulation de l’accès aux postes de MCF et de PU (voir notre Lettre 2021-4 du 11 mai) et par la mise en place des « chaires de professeur junior », plusieurs instances nationales dénoncent des mesures contraires au statut national des fonctionnaires :

  • Les organisations représentatives de la Fonction publique d’État ont refusé de siéger aux séances du Comité technique ministériel (CTMESR) le 18 juin et du Comité technique des personnels enseignants de statut universitaire (CTU) le 21 juin.
  • Le Conseil supérieur de la Fonction publique de l’État (CSFPE) a voté à l’unanimité contre la mise en place des chaires de professeur junior ce 9 juillet.
  • Le Groupe 4 "Sciences humaines et sociales" (SHS) du CNU a lancé le 6 juillet 2021 un appel à tous les collègues pour les alerter sur la gravité de la situation. Le texte intégral de cet appel se trouve ci-après.

 

Motion du Groupe 4 « Sciences humaines et sociales » du CNU

Le groupe 4 SHS du CNU alerte la communauté des enseignants-chercheurs sur les réformes du recrutement des universitaires, conçues en catimini en une fin d’année n’autorisant ni l’information des collègues, ni leur mobilisation. Les décrets et circulaires déclinant les principes de la LPR sont en cours de rédaction, et parfois mis en œuvre avant que leur rédaction ne soit achevée, à l’image des chaires de professeur junior.

Creusement des inégalités de conditions de travail et de carrière : la création précipitée des chaires de professeur junior

Avant même la publication du décret, le ministère a invité les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à faire remonter les projets de création de chaires pour le 23 juillet, en vue de premiers recrutements fin 2021. Une telle précipitation n’autorise évidemment pas la réflexion collégiale dans les conseils locaux alors que les enjeux sont majeurs.
La création de ces chaires va durablement creuser les inégalités de conditions de travail entre enseignants-chercheurs et les inégalités d’accès aux corps des professeurs des universités (PU) ou des directeurs de recherche (DR). Recrutés sur un contrat de pré-titularisation de 3 à 6 ans, les « professeurs juniors » auront en effet une charge d’enseignement maximale variant entre 42 heures et 64 heures et bénéficieront par ailleurs d’une dotation individuelle de l’ANR de 200 KE, dont 120 KE pourront être consacrés au recrutement de leurs propres collaborateurs. Au terme de leur contrat, ces collègues pourront également accéder, après un simple avis d’une commission de titularisation locale, aux corps des PU ou des DR.
Dans des départements et laboratoires de sciences humaines et sociales souvent confrontés à la faiblesse de moyens pérennes alloués à l’encadrement pédagogique et à la recherche, le déploiement des chaires de professeur junior ne peut que faire éclater les collectifs de travail : la charge d’enseignement limitée des uns se reportant nécessairement sur les autres, vacataires précaires, mais aussi maîtres de conférences se voyant par ailleurs proposés des voies de promotion plus exigeantes. De plus, à budgets constants, la prise en charge locale des coûts liés à la titularisation de ces « professeurs juniors » risque de se faire au détriment de sciences humaines et sociales souvent peu influentes et audibles dans les conseils centraux des établissements.

Un renforcement du contrôle individualisé et localisé de l’activité des enseignants-chercheurs

À cette dérégulation des voies d’accès au corps des PU/DR s’ajoute un renforcement du contrôle individualisé de l’activité des enseignants-chercheurs qui ne sera plus collégial et national mais local, aux mains des présidences des universités, via le suivi de carrière et le Régime Indemnitaire des Personnels Enseignants et Chercheurs (RIPEC), nouveau système de primes qui remplacera l’essentiel des primes ou indemnités existantes dès l’an prochain. Se substituant notamment à la PEDR, la nouvelle prime individuelle ne serait plus attribuée par le CNU, mais par les conseils académiques locaux et pourrait être convertie, à la discrétion des collègues, en CRCTs ou en CPPs, ce qui dispenserait le Ministère d’octroyer des congés.

Une dérégulation massive et précipitée du statut national

En dérégulant l’accès aux corps de MCF et de PU et en utilisant le suivi de carrière à des fins de contrôle individuel pour une modulation des services, le statut national -et la qualité des recrutements qu’il garantit-, est directement visé. C’est à une restructuration profonde des conditions d’exercice du métier d’enseignant-chercheur que nous assistons : la structuration en deux corps, collégialement régulés, est en train de laisser place à un marché de l’emploi universitaire localisé dans lequel les présidences des établissements sont invitées à miser sur quelques « élus » autour desquels seront concentrés les moyens scientifiques, tandis que le reste du personnel, pourtant hautement qualifié, sera cantonné à un enseignement perdant sa nécessaire connexion avec la recherche. Un véritable gâchis de ressources humaines, opéré de surcroît au mépris des savoirs accumulés par les SHS sur les manières de produire la science : la qualité scientifique requiert de solides collectifs et une régulation du travail scientifique plus que la mise en concurrence et la division encouragées par les actuelles réformes.

Le groupe SHS du CNU appelle donc les pouvoirs publics à investir massivement dans les budgets des établissements pour leur permettre de créer des postes de MCF et de PU mis au concours selon la voie normale. Nous avons besoin de titulaires recrutés selon des critères exigeants, pour que nos étudiants reçoivent un enseignement de qualité. Dérégulation, multiplication des statuts et précarisation ne permettront pas de résoudre les problèmes de l’université et de la recherche en France.

Il demande aux syndicats de l’enseignement supérieur de s’opposer fermement à la modulation des services qu’autoriseraient la nouvelle procédure de suivi des carrières et la suppression du référent des 192 heures annuelles d’enseignement. Cette politique consistant à ne plus rémunérer les heures complémentaires assurées par les titulaires alors même qu’ils font face aux besoins d’enseignement, parfois au détriment de leur propre activité scientifique, est inacceptable.

Il s’élève contre le mépris exprimé à l’endroit des instances collégiales nationales et s’oppose à ce que le CNU soit transformé en organe consultatif, dépossédé de tout pouvoir décisionnel. Si une telle réforme devait être adoptée, il se refuserait d’accomplir des tâches exclusivement consultatives.         

Il lance enfin un appel à tous les collègues, pour qu’ils prennent conscience de la gravité de la situation : il ne s’agit plus de risques mais de périls désormais immédiats. Il est urgent de se mobiliser :

- en se regroupant dans vos établissements pour obtenir de vos conseils qu’ils ne sollicitent pas la création de chaires de « professeur junior », pour rendre explicites les conditions dans lesquels ils mettront en œuvre le repyramidage des postes MCF HDR en poste de PU, ainsi que le suivi de carrière et le RIPEC ;

- en ne sollicitant pas un suivi de carrière tant que les usages et les finalités de celui-ci ne seront pas clarifiés par le ministère ;

- en s’impliquant dans les associations professionnelles et disciplinaires mais aussi dans des collectifs militants (RogueESR par exemple) qui vont interpeller les prochains candidats à l’élection présidentielle.

Paris, le 6 juillet 2021.

 

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